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Date de mise à jour : 30/10/2017 (60 nouvelles épaves, 41 mises à jour)

BORYSTHENE
ex BRASILEIRA (1855)

Paquebot (1853-1865)

Pavillon françaisMessagerie impériales

l'île Plane, Oran
Erreur de navigation, le 15 décembre 1865

Naufrage du BORYSTHENE
Le naufrage du BORYSTHENE (l'illustrateur a dessiné un vapeur à aubes, alors que le navire était à hélice)

Caractéristiques

BORYSTHENE paquebot à vapeur, une hélice en fer de 1.158 tonnes, 75 m x 8 m, sa machine compound 2 cylindres lmachine verticale à engrenages de 250 NHP, lui assure une vitesse de 10 noeuds.

Il est lancé le 3 avril 1853 par John Laird à Birkenhead, pour la South American & General Steam Navigation Co, sous le nom de BRASILEIRA (ou BRASILIERA), affecté à la ligne du Brésil. Le BRASILEIRA a été achevée à temps pour démarrer le service le 24 août, 1853, sous le commandement du capitaine Green, il a rencontré une violente tempête dans la Manche, mais est arrivé à Lisbonne en moins de cinq jours. Il devait faire escale à l'île Saint-Vincent Cap-Vert pour ravitailler en charbon, mais en raison du mauvais temps il a continué vers Pernambuco, où il arrive le 12. Il arrive à Rio de Janeiro le 24 septembre. Ce vapeur a effectué 12 voyages en Amérique du Sud, et mérite des éloges pour être le pionnier dans ce domaine.

Il est racheté en décembre 1854 par les Messageries Impériales. Il participe à la guerre de Crimée. Il fait sa première croisière pour cette compagnie, le 7 janvier 1856 à destination d'Istanbul sur la ligne du Levant qu'il alterne avec la desserte de l’Algérie et de la Tunisie à partir de 1860. Il est totalement affecté sur cette ligne Algerie -Tunisie, en 1863.

Le naufrage

Il appareille de Marseille, le 13 décembre 1865 à direction d'Oran. Le 15 décembre à moins de cinq milles du port, c'est le drame, comme en témoigne le récit de presse ci dessous :

Article naufrage Borysthene

Borysthene

Borysthene

ile Plane

Epave du Borysthène

Ile Plane aujourd'hui (photo Tarik Mokhtari)

Vestiges du Borysthène (photo Tarik Mokhtari)

Epave

Borysthène

Vestiges du Borysthène (photo Tarik Mokhtari)

Vestiges du Borysthène (photo Tarik Mokhtari)

Borysthène

Borysthène

Vestiges du Borysthène (photo Tarik Mokhtari)

Vestiges du Borysthène (photo Tarik Mokhtari)

Dans une lettre adressée à sa famille, l'aide-major Vérette, passager à bord et échappé au désastre, a fait de cette scène émouvante la narration qu'on va lire :

"Le commandant du navire nous assura qu'entre dix et onze heures du soir nous arriverions à Oran. Grande fut notre joie, car c'est vraiment bien triste de ne voir pendant deux grandes journées que le ciel et l'eau; et puis ce mouvement perpétuel du navire vous fatigue et vous ennuie; on soupire après la terre. Ce Au dîner, il y eut beaucoup de gaieté. A huit heures, on bouclait ses sacs de nuit pour être plutôt prêt à débarquer. A neuf heures et demie du soir, nous étions encore sur la dunette, à causer. La mer devint tout à coup plus mauvaise. J'allai me coucher, mais le roulis m'empêchait de fermer les yeux; je m'en plaignais à mon voisin, qui ne me répondit pas; il dormait comme un bienheureux. Je sommeillais cependant depuis environ une heure, quand j'entendis une voix crier : "Stop, nous sommes dessus, machine en arrière vite." Puis le bruit sourd de l'hélice cessa de se faire entendre. Le bâtiment sembla s'arrêter, on courait sur le pont. Allons, allons, dis-je à mon voisin, nous sommes arrivés, nous entrons dans le port, on manoeuvre en haut. Tout en disant cela, et comme saisi d'un vague pressentiment, je saute à bas de mon hamac pour monter sur le pont.
Au même instant, un craquement terrible, indéfinissable, se fait entendre, accompagné de secousses si violentes que je tombai à terre. Puis j'entends un matelot qui crie : " Mon Dieu! Nous sommes perdus, priez pour nous !"
Nous venions de toucher le rocher et le navire s'entrouvrait. L'eau entrait dans la cale, on l'entendait bouillonner. Les soldats qui couchaient sur le pont se sauvent pêle-mêle, n'importe où, en poussant des cris affreux. Les passagers à demi nus s'élancent hors des cabines. Les pauvres femmes s'accrochaient à tout le monde en suppliant qu'on les sauvât. On priait le bon Dieu tout haut. On se disait adieu. Un négociant arme un pistolet et veut se brûler la cervelle, on lui arrache son arme. Les secousses continuaient. La cloche du bord sonnait le tocsin, mais le vent mugissait affreusement, la cloche n'était point entendue à 50 mètres. C'étaient des cris, des hurlements, des prières. C'était je ne sais quoi d'affreux, de lugubre, d'épouvantable. Jamais je n'ai vu, jamais je n'ai lu de scène aussi horrible, aussi poignante. Etre là, plein de vie, de santé, et en face d'une mort que l'on croit certaine, et d'une mort affreuse !... En ce moment suprême et indescriptible, le vicaire, M. Moisset, nous donna à tous la bénédiction. La voix pleine de larmes de ce pauvre prêtre, recommandant à Dieu deux cent cinquante malheureux que la mer allait engloutir, remuait toutes les entrailles.
Presque au même instant, le navire versait tout entier sur le côté droit ; l'eau entrait dans la salle à manger, dans les cabines, à gros bouillons. Tout le monde fut précipité du même côté. Nous avions de l'eau jusqu'aux épaules. Il fallut nager jusqu'à la rampe de l'escalier qui conduisait sur le pont. C'est alors qu'on n'entendit plus un cri, chacun se sauvait sans proférer une parole. Arrivé au bas de l'escalier, j'aperçois Dogny nageant près de moi. Nous montons tous deux. Mais arrivés en haut, la porte était fermée, et nous entendons crier : " Gare ! le grand mât va tomber !". On l'abattait à coups de hache, mais bientôt une lame enlevait les matelots occupés à ce travail. Au haut de l'escalier se trouvait un petit tambour en tôle, qui en recouvrait l'entrée. Deux petites lucarnes étaient pratiquées dans le tambour. La porte étant fermée, nous ne pouvions l'enfoncer, et Dogny me dit : "nous sommes perdus, l'eau monte dans l'escalier !" En passant-la tête par la lucarne, que vois-je? Roux, Godard et Weber, accroupis sur le haut du tambour et se cramponnant comme ils pouvaient. Ils m'aperçoivent et me crient : "Vite, Vérette, vite, passe par la lucarne ; nous sommes perdus !" Ils m'ont tiré tant et si bien que je suis passé et Dogny ensuite. Nous voilà donc tous les cinq groupés sur un espace où trois personnes auraient été fort gênées, derrière nous la mer furieuse, à droite la mer encore ! Au bout d'une minute nous entendons des cris, c'était l'arrière tout entier du navire qui craquait et s'engouffrait tout d'un coup, entraînant avec lui une vingtaine de personnes... puis le silence !

Borysthène

"La nuit était noire, et les vagues d'une phosphorescence telle qu'elles nous retombaient sur le dos comme une pluie de feu. Cela sentait l'éther, la créosote. Jamais je n'avais vu cela. Les lames balayaient le pont avec une rage inouïe, entraînant tous ceux qui ne se cramponnaient pas; on les entendait venir de loin, et, quand elles arrivaient, on baissait la tète et on se serrait les uns contre les autres. Nous en avons reçu de si violentes, que nous craignions que le tambour de l'escalier sur lequel nous nous trouvions ne craquât et ne nous entraînât dans sa chute. "Weber me disait : "Vérette, nous allons mourir; mais, si l'un de nous, se sauve, qu'il jure d'écrire à nos parents aussitôt qu'il le pourra.» Nous nous sommes serré la main plus de dix fois en nous disant adieu. Les vagues ne nous laissaient plus de repos. L'eau nous coulait dans le dos, nous en avions plein les yeux et la bouche. Quand une vague balayait le pont, on voyait encore se détacher quelqu'un d'un groupe, glisser sur la pente inclinée du pont. Le malheureux criait : "0 mes amis !" La vague se retirait en l'emportant, et c'était tout. D'autres criaient : " Soutenez-moi, je glisse, je suis perdu !" Un contrôleur voit sa femme enlevée par une lame. Elle avait son enfant de dix-huit mois sur les bras. Ne pouvant la retenir, il saute dans la mer en disant : " Nous mourrons ensemble !" Le vicaire, M. Moisset, a coulé près de moi, je lui ai tendu la main, mais il l'a manquée et il s'est accroché au bas de mon pantalon ; le morceau lui est resté dans la main et la lame l'a enlevé. Vers trois heures du matin, nous essayâmes de quitter notre refuge et de grimper sur le bord non submergé du navire; mais pour accomplir ce trajet, il nous fallait franchir un espace de trois ou quatre mètres en montant une pente presque verticale et glissante comme du savon gras. Impossible de tenter une pareille, escalade, d'autant plus' qu'il fallait grimper dans l'intervalle de deux vagues. On nous jeta alors une corde que nous nous passâmes autour du corps, et les soldats qui avaient pu réussir à se mettre achevai sur le bord qui était hors de l'eau, nous montèrent chacun à notre tour. En arrivant, un soldat me reconnut : " C'est vous, monsieur le major, me dit-il, donnez-moi la main tenez-vous bien et laissez-vous aller." Il me hissa, après moi Dogny, Roux, Godard et Weber. On organisa alors avec une corde une espèce de va-et-vient, car à cinquante mètres de nous environ se trouvait le gros rocher contre lequel nous avions échoué. Mais le tout était de se porter sur le rocher. La corde devait nous servir de pont volant. On mit un canot à la mer; il fut brisé en mille morceaux; un second eut le même sort, et les quatre marins qui le montaient furent engloutis. C'est alors qu'un matelot nommé Leblanc, à qui nous devons tous la vie, s'attacha la corde autour des reins et se lança dans les flots à la grâce de Dieu. Cinq fois, avec un courage surhumain, il tenta l'abordage, cinq fois il fut repoussé et meurtri. Enfin, il atteignit le rocher et fixa la corde. Nous passâmes alors au-dessus de l'onde mugissante sur ce pont volant. A neuf heures du matin, tout le monde était sur le rocher.
On se compta. Il y avait 70 morts. La mer en amena trois sur le rocher. On leur prit leurs souliers et on les donna à ceux qui n'en avaient plus. On fit du feu avec les planches des canots brisés et l'on mit des mouchoirs blancs au haut de grands bâtons pour être aperçus et secourus. C'était alors notre seule cloche d'alarme. Le rocher forme une petite île complètement dépourvue de terre, aride et à pic Pas d'eau à boire, rien à manger, transis de froid, mouillés jusqu'aux os, pouvant à peine nous tenir sur nos jambes, tant nous étions épuisés ! Voilà notre situation. Enfin vers midi, une balancelle montée par des corailleurs espagnols aperçut nos signaux et la fumée de nos feux; elle approcha et nous jeta un sac de biscuits de mer, du pain et du tabac, puis cingla vers Oran pour annoncer notre naufrage. L'après-midi, il plut. On fit placer dans les anfractuosités du rocher, à l'abri de la pluie, les femmes, les enfants, les malades. Les soldats donnaient leurs capotes à ceux qui s'étaient sauvés de leurs cabines sans être vêtus. On passa la nuit sur des rochers, autour des feux que nous avions allumés. Pendant ces deux jours, nous couchâmes à la belle étoile, nous chauffant avec des herbes sèches et avec les débris du navire, et allant puiser dans les creux des rochers de l'eau de pluie avec de l'eau de mer. C'est là que je connus, chers parents, les premières privations. Nous avions deux fois par jour, pour tout repas, un petit morceau de pain gros comme un oeuf de poule, et rien à boire !
Enfin, le dimanche 17, à dix heures du matin, nous vîmes arriver cinq balancelles espagnoles. On s'embrassait, on se serrait dans les bras l'un de l'autre : nous étions sauvés ! On monta d'abord les femmes, les enfants et les malades, puis tout le reste suivit. A une heure de l'après-midi nous entrions dans le port d'Oran, où une foule immense nous attendait sur le quai. Tout le monde, nous tendait les bras. Les hommes agitaient leurs chapeaux en l'air et les dames leurs mouchoirs. Nous avions les costumes les plus bizarres. Ainsi, Mme Munier, dont le mari est conservateur des hypothèques à Mascara, avait une capote de soldat, son mari avait les pieds enveloppés dans des morceaux de pantalon déchiré, etc.
Moi, j'avais ma tunique, plus de képi, mais un mouchoir autour de la tête, mes bottes abîmées comme tout le reste par l'eau de mer, le pouce de mon pied passant au travers, mon pantalon arraché par ce pauvre prêtre qui s'était noyé, et je ne pouvais plus me tenir sur mes jambes en arrivant à terre. J'étais hébété et je croyais rêver."

Naufrage Borysthene

 

Position

Carte du naufrage

Lieu du naufrage

Vidéo de l'épave

Borysthene

Notes

1. La South American and General Steam Navigation Co., Liverpool 1852-1855 a été fondée à Liverpool en 1852, pour lancer une flotte de bateaux à vapeur vers l'Amérique du Sud. Une commande ont été soiumise au chantier John Laird à Birkenhead pour deux paquebots 1.100 tonnes, le BRASILEIRA et LUSITANIA et avec celui de John Reid & Co. à Port Glasgow pour un navire similaire, l'OLINDA. Un navire en bois à aubes destiné à un service d'alimentation vers l'Amérique du Sud, a également été construit par John Laird et nommé ARGENTINA. L'ARGENTINA a fait naufrage dans la River Plate en Décembre 1853 et l'OLINDA a fait naufrage le 26 Janvier 1854 près de Holyhead quelques heures après le début de son deuxième voyage.

2. Pourquoi évoquer le naufrage du Borysthène ? Ce naufrage, hors de la zone des épaves de notre base, représente pour moi un souvenir : celui de la première épave sur laquelle j'ai plongé par hasard, en 1976. A l'époque je travaillais en Algerie, à Oran et ne pratiquais que la chasse sous-marine. L'Ile Plane était toute proche et un fabuleux réservoir de liches et de merous. J'ai observé vaguement les vestiges de ce navire ne comprenant qu'aujourd'hui l'intêret qu'il aurait du susciter. Alors voilà cette fiche, pour attenuer mes regrets... C. Rabault Je remercie particulièrement Tarik Mokhtari, plongeur oranais pour sa contribution.

2. Borysthène, en grec Borusthenês : nom donné au Dniepr dans l'Antiquité. Le Dniepr est un fleuve d'Europe orientale. Il se classe, avec ses 2 290 km, à la troisième place des fleuves d'Europe pour sa longueur.

3. "Naufrage du Borysthène", tableau par Emile Pierre Berthélemy, No 139, intitulé dans le catalogue "Naufrage du Borysthène, le 15 déc. 1865. 4068". Sous le No 139, une annotation dans le catalogue : "Un matelot nommé Leblanc, après cinq tentatives infructueuses, porte une corde sur le rocher où le Borysthène s'était brisé, de façon à établir un va-et-vient au moyen duquel une grande partie des naufragés furent sauvés."

Sources

"Le naufrage du 'Borysthene', 15 décembre 1865", Pierre Emile Berthelemy ; "Steam Shipping SG & SGTL Vol 12", Pages 275 et 283, 17-31 Dec 1855 ; "Le Monde Illustré", 1866 ; A.D. 85 (La Gazette vendéenne, 1849-1882) ; The New-York Times (nov. 23, 1853) ; "Pierre-Emile Berthélémy - 1818-1894, Peintre des rivages normands", Jean-François Détrée, ISBN : 978-2-7572-0058-2 ; Annales du sauvetage maritime (01/1866, A1,T1) ;