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Date de mise à jour : 30/10/2017 (60 nouvelles épaves, 41 mises à jour)

LE CANNIBALISME DE SURVIE

L'ESSEX- le FRANCES MARY - le QUIXOTE - le PROTEUS - la MIGNONETTE,
Le TURTEY - le GLENMORE - le DROT - l'ANGOLA

 

Généralités :

Le terme cannibale provient du mot caniba ou cariba utilisé par les Taïnos que Christophe Colomb a rencontrés lors de son premier séjour sur Hispaniola. Il désignait alors, selon Christophe Colomb, les redoutables populations de l'est de l'île qui combattaient les autres peuples indigènes et mangeaient leurs victimes.
Le cannibalisme, lorsqu'il concerne la consommation de viande humaine par des hommes, est également appelé « anthropophagie », du grec anthropos (homme) et phagein (manger).

Des cas d’anthropophagie sont à attribuer à l’instinct de survie : c’est le cannibalisme de pénurie ou de survie.
Les cas seront nombreux lors des accidents maritimes. Nous en citerons six. Nous aurions pu ajouter les cas de l'expédition Franklin (1847), celui du radeau de la Méduse (1816) et bien d'autres...

ESSEX
Tableau de Gericault "Les naufragés de la Méduse"

Nous nous garderons ici de juger. Nous nous contenterons de décrire à travers la presse de l'époque, les conditions dans lesquelles ils se sont produits.

LE CAS DU BALEINIER ESSEX 1819-1821

ESSEX
Baleinier Essex

L'Essex quitte l'île de Nantucket le 12 août 1819 pour une nouvelle campagne de chasse à la baleine qui doit durer deux ans et demi. Il est placé sous le commandement de George Pollard Jr, 28 ans, qui sert à bord de l’Essex depuis 1815. Il est assisté du premier maître Owen Chase, 22 ans et du second maître Matthew Joy, 26 ans. L'équipage comprend dix-huit matelots. Ils font escale aux Açores et capturent leur première baleine une fois passé l'équateur. À partir du 25 novembre, ils commencent à doubler le cap Horn et arrivent enfin en janvier 1820 en vue de la petite île Sainte Mary, au large du Chili, près de la baie d'Arauco. Après quelques mois infructueux sur les côtes du Chili, le baleinier a plus de chance au large des côtes du Pérou où il capture onze cachalots en deux mois. Lors d'une escale dans un petit village de pêcheurs du nom d'Atacames, un des marins nommé Henry Dewitt déserte, ramenant l'effectif du bateau à 20 hommes. Cette désertion indispose le capitaine, car chacune des trois baleinières mobilise six hommes (quatre aux avirons, un à la barre, un au harpon) ce qui ne laisse plus que deux hommes au lieu de trois pour diriger le baleinier.
En octobre 1820, le navire fait escale huit jours aux îles Galápagos. Il atteint alors 700 barils d'huile, soit la moitié de sa capacité. Il se dirige alors en longeant l'équateur, vers l’Offshore Ground, lieu de concentration en plein Pacifique des bancs de cachalots. Le 20 novembre les trois baleinières sont mises à l'eau au vu d'un banc de cachalots, mais Chase doit revenir à bord pour réparer sa barque endommagée.
C'est le moment que choisit un énorme cachalot de 25 mètres pour attaquer le navire. Après deux violents chocs, un latéral puis un frontal, le baleinier prend l'eau et commence à se coucher. Les deux autres baleinières commandées par Pollard et Joy reviennent sur leur navire d'attache. Avant que le baleinier ne sombre, l'équipage a le temps de rassembler vivres, matériels de navigation et d'équiper les trois baleinières de mâts et de voiles, puis ils se répartissent dans les trois embarcations.
Au lieu de se diriger vers les Marquises ou les îles de la Société, considérées comme peu sûres, ils décident de voguer vers le sud pour attraper les conditions plus favorables les ramenant sur l'Amérique du Sud. Sans s'attacher pour ne pas réduire leur vitesse, les trois baleinières1 arrivent difficilement à naviguer de concert. À force de rationnement, souffrant cruellement de soif, alternativement ballotées par les tempêtes et immobilisées par manque de vent, les trois barques arrivent en vue de l'île Henderson que Pollard prend faussement pour l'île Ducie. Les naufragés ont dérivé beaucoup plus à l'ouest que prévu, et qu'ils ne le croient. L'île est inhabitée. Ils y séjournent du 20 au 27 décembre pour reprendre leurs forces. Mais les faibles ressources de l'île sont rapidement épuisées et ne permettent pas de survivre longtemps. Trois des marins (l'Anglais Thomas Chappel, Seth Weeks et William Wright) toutefois décident de rester sur terre et de tenter leur chance sur l'île.
Les dix-sept hommes restants repartent, espérant rejoindre l'île de Pâques, mais le gros temps les entraîne plus au sud. Le 10 janvier 1821, Joy qui était malade depuis le départ de l'île, meurt. Son corps est livré à l'Océan et Pollard confie le troisième bateau au barreur Obed Hendricks2. Le 12 janvier à l'aube, l'embarcation de Chase perd de vue les deux autres équipages. La maladie de Joy ne lui avait pas permis d'être aussi vigilant dans le rationnement. Les provisions sont épuisées et les deux équipages vont devoir partager les maigres ressources.
Le 20 janvier, un des hommes d'Hendricks meurt. Les rescapés, affamés et déshydratés, décident de manger le cadavre au lieu de le jeter par dessus bord. Ils partagent cette nourriture avec l'équipage de Pollard. Trois jours plus tard, un autre homme meurt et son cadavre subit le même sort. Puis le 26 c'est le tour d'un troisième et le 28 d'un quatrième. Il ne reste que quatre hommes dans l'embarcation de Pollard et trois dans celle d'Hendrickx lorsqu'à l'aube du 29 janvier, les deux équipages se perdent de vue. Le 6 février, de nouveau à court de vivres, les quatre rescapés de l'embarcation de Pollard décident de tirer au sort l'homme à sacrifier pour la survie des trois autres. C'est Owen Coffin, le cousin de Pollard que le sort désigne. Il est exécuté par Charles Ramsdell. Le 11 février un nouveau décès, naturel cette fois, offre un dernier répit. Le 23 février, alors qu'ils s'approchent de l'île Sainte-Mary, le bateau Dauphin les aperçoit et les recueille. Les deux rescapés sont le capitaine Pollard et le matelot, Charles Ramsdell. En revanche, Hendrickx et ses deux compagnons, William Bond et Joseph West ne seront jamais retrouvés. Sur le bateau de Chase, le premier décès a lieu le 20 janvier. Le corps est jeté à la mer. Le 8 février, un autre homme meurt et les survivants décident de garder son corps pour se nourrir.
Le 18 février les trois rescapés, Chase, Lawrence et Nickerson sont récupérés par un vaisseau anglais l’Indian. Le 10 mars, le Surry appareille de Valparaíso pour Sydney. Informé des événements, il a accepté de faire escale à l'île Ducie pour vérifier si les trois naufragés de l'île sont encore vivants. Ne trouvant personne sur l'île, il poursuit jusqu'à celle d'Henderson où il arrive le 9 avril 1821. Les trois hommes épuisés mais vivants sont récupérés.

LE CAS DU FRANCES MARY 1826

John Kendall

Le FRANCES MARY, trois-mâts de 398 tonneaux sous le commandement de John Kendall était en transit, transportant une cargaison de bois de construction du Nouveau Brunswick au Canada à Liverpool. Il a quitté St Johns, à Terre-Neuve, le 18 janvier 1826, et le 1er février il a rencontré de forts coups de vent qui ont emporté son grand mât de tête et la tête du mât d'artimon. Les fortes mers ont également emporté le caboose (compartiment de pont contenant la cuisine du navire), et cinq hommes ont été blessés. Cinq jours plus tard, le navire a perdu son canot long, son gouvernail, deux ancres de cloche et le mât de misaine.
A ce stade, par mesure de précaution, 50 livres de pain et un fromage de 5 livres ont été stockés dans le roof principal et Mme Kendall, l'épouse du capitaine et une passagère, Ann Saunders, ont été chargées de leur distribution. Deux fois au cours des trois jours suivants, des navires américains se sont approchés mais n'ont pas été en mesure d'offrir de l'aide en raison de l'état de la mer.
Le 11 février, la nourriture s'est épuisée et la tempête a continué à souffler. Dix jours plus tard l'un des marins, James Clarke, est mort, et la ration d'eau a été d'eau a été réduite à un demi-gill (2fl oz) par personne et par jour. Le 22 février un autre marin, James Wilson, est mort, et son corps a été "découpé en quatre", lavé et ensuite suspendu à la broche. Le jour suivant J. Moote mourut et fut "jeté par-dessus bord, ayant mangé une partie de son corps, le foie et le cœur".
Entre le 23 février et le 5 mars, huit hommes sont décédés. Le dernier étant James Frier, le fiancé d'Ann Saunders, qui "a poussé un grand cri" et a ensuite "tranché la gorge de son défunt mari mari et a bu son sang, insistant sur le fait qu'elle y avait le plus grand droit.
Le 7 mars, les six survivants restants, qui comprenaient les deux femmes et le capitaine, ont été récupérés par le HMS Blonde sous le commandement de Lord George Byron par 44° 43'N 21° 57'W.
Lorsque le lieutenant en charge du bateau de sauvetage a remarqué : "Vous avez encore, je crois, de la viande fraîche ", on lui répond : "Non monsieur, c'est une partie d'un homme, un des membres de notre malheureux équipage". Il a été rapporté qu'Ann Saunders s'était chargée de découper et de nettoyer les cadavres. Il a été dit de ceux qui n'ont pas survécu : "Par manque d'eau". Ceux qui ont péri ont bu leur propre urine et de l'eau salée sont devenus fous... et sont morts".

The Times, March 29, 1826
The Times, March 29, 1826

Portsmnouth, 14 mars. 1826. "Cher Père, je vous envoie ceci pour vous informer de notre arrivée saine et sauve ici ce jour à bord de la Blonde, frégate commandée par le capitaine Lord Byron, qui nous a recueillis lat. 44° N . long. 22° 30 W, après avoir souffert de la faim et de la famine pendant 32 jours. Dix membres de notre équipage sont morts. Trois marins, ma femme, et moi-même, une jeune femme, passagère, avons été sauvés. Nous étions tous très faibles, mais l'attention bienveillante de Lord Byron et de ses officiers, depuis huit jours que nous sommes à bord, nous a presque ramenés à notre force naturelle. Lord Byron n'avait rien d'autre à bord que ce qu'il nous a donné pour nous nourrir et nous rassasier. Je vous serais obligé d'aller voir le maire et de lui demander de remercier Lord Byron de sa gentillesse. Une vague nous a frappés le 5 février, a emporté notre barre, notre gouvernail, notre poêle dans le coffre de l'arrière, le coffre du gouvernail, et a balayé les ponts, mais n'a pas emporté, à ce moment-là, un seul homme par-dessus bord. En moins de deux heures, le bateau était plein d'eau et j'ai été obligé de couper le mât pour l'empêcher de se renverser. Nous sommes restés une partie du temps tous ensemble sur le grand mât, le seul qu'il avait sur pied. Je suppose que vous ne pouviez pas croire que Mary pouvait supporter autant de difficultés, mais elle est maintenant plus forte que moi. Pendant les 15 premiers jours, nous n'avons pas eu un seul point de suture sur nous. La dernière partie du temps, nous nous sommes nourris de chair humaine et, pendant 4 ou 5 jours, nous n'avons rien pu boire, faute de pluie. Je pense que la journée après que nous ayons été ramassés nous aurait tous achevés. "John Kendall
Ann Sauders a publié l'année suivante son récit du drame :

"Narrative of the shipwreck and sufferings of Miss Ann Saunders : who was a passenger on board the ship Francis Mary, which foundered at sea on the 5th Feb. 1826", Ann Saunders, Éd Providence, Crossmon, 1827.

 

LE CAS DU QUIXOTE

Quixote

Le QUIXOTE était un brick de 120 tonnes, construit au Nouveau Brunswick en 1828 et appartenait à M. Pierre Duval de St Aubin. Au cours de l'été 1830, alors que Francis Bailhache en était le capitaine, il s'est rendu à Terre-Neuve, puis à Cadix et ensuite à Sainte-Lucie  en Espagne où il a pris une cargaison d'huile pour Liverpool. Il partit le 23 octobre et rencontra du mauvais temps, des tempêtes incessantes jusqu'au 5 décembre où la force de l'ouragan les obligea à se mettre à la cale par 48º N 9º 13' W. Il tentait de virer de bord sous grand voile quand à 18h30, le brick fut frappé à mi-hauteur par une mer formidable, projeté sur ses extrémités de travers et la cargaison fut déplacée. Sur le pont, les deux hommes de quart ont coupé les cordages du gréement et les mâts sont passés par-dessus bord. Le navire s'est redressé mais il était plein d'eau car les écoutilles avaient été défoncées. Lorsque la mer a frappé, quatre hommes se trouvaient dans la cabine avant, mais trois se sont noyés. Le capitaine et le second ont réussi à passer de la cabine arrière au pont où ils ont vu la mer balayer le pont de la proue à la poupe. Le reste de l'équipage, complètement trempé et presque épuisé, a tenu bon malgré le froid intense. Deux heures après le naufrage, le capitaine est mort et le lendemain matin, un autre membre de l'équipage est mort, épuisé par le froid et la fatigue. Les quatre survivants se sont accrochés à l'épave pendant les quatre jours suivants, sans nourriture ni boisson.
Le 9 décembre, un autre membre de l'équipage est mort et les hommes restants ont attaché son corps pour éviter qu'il ne soit emporté par les eaux afin qu'ils puissent s'en nourrir. Le jour suivant, le 10 décembre, ils ont rongé un bras, le 11, ils se sont à nouveau nourris de sa chair. Le 12, la tempête se calmait mais le corps devenait putride. Le matin du 13, Philippe Arthur aperçut une voile et put la signaler.
Le brick français Ceres de Rouen, capitaine Le Rommier, en route pour Harfleur, les prend à son bord. Malheureusement, le 15, l'un d'entre eux meurt, laissant Clément Noël, le second, et Philip Arthur, tous deux jersiais, comme seuls survivants. Ils ont été débarqués à Harfleur où ils ont été placés dans un hôpital où ils sont restés pendant 17 jours, après quoi ils se sont rendus au Havre par bateau à vapeur. Le consul britannique les fait transporter à l'hôpital de Plymouth avant d'arriver dans l'île le 24 janvier 1831 à bord du Providence, capitaine Benest.
Les morts sont le capitaine Francis Bailhache, E Vibert, P Lemprière, P Ahier, P Arthur, J Bisson et C McKintosh.

 

LE CAS DU PROTEUS 1884

Proteus
Le Proteus au mouillage

Au Pôle Nord, la THETIS sauve le lieutenant Greely (1) et sept de ses compagnons :
Washington, le 17 juillet 1884, le département de la marine a reçu de St-Jean, une dépêche annonçant que l'expédition envoyée à la recherche du lieutenant Greely, a trouvé les survivants des compagnons de cet officier. Ces survivants sont au nombre de sept. Des dépêches officielles du commandant du Bear annoncent que, en outre du fait que le lieutenant Greely et ses sept compagnons ont été sauvés, il a été reconnu que dix-sept hommes de l'expédition sont morts de faim et de froid. Le lieutenant Greely est arrivé à Saint-Jean sur le steamer baleinier Loch Garry adressera lui-même un rapport à l'amirauté. La nouvelle de son sauvetage a été accueillie ici avec enthousiasme, et l'on attend avec impatience les détails que donneront les correspondants des journaux qui ont accompagné l'expédition. L'Equipage de la Thétis découvre les Survivants.
On a reçu de Saint-Jean de Terre-Neuve des détails complets sur le sauvetage du lieutenant Greely et de ses compagnons. Les trois navires comprenant l'expédition de secours, l'Alert, la Thétis et le Bear qui sont partis au printemps, ont fait, jusqu'aux mers arctiques, un très beau voyage, et sont arrivés à l'embouchure du Smith's-Sound dans la troisième semaine de juin. Le 22 juin, à cinq milles du cap Sabine, l'équipage de la Thetis trouva des traces de ceux que l'on cherchait et peu de temps après, on découvrit, vivants, mais dans un état lamentable, le lieutenant Greely et ses compagnons. Près des survivants, gisaient douze cadavres, et les sauveteurs apprirent que le reste du personnel de l'expédition avait également péri et que leurs corps, ensevelis dans les glaces, avaient été emportés. Dix-sept de ces malheureux sont morts de faim et de froid, après avoir lutté jusqu'à la dernière extrémité. Un autre a été emporté par une vague et noyé.
Le lieutenant Greely a appris à ses sauveteurs qu'il avait quitté, le 9 août de l'année dernière, le fort Conger, où il s'était établi après la perte de son navire et qu'il s'était dirigé vers le Sud. Il est arrivé le 21 octobre à l'endroit où on l'a trouvé. Pendant neuf mois, ils ont mené une existence misérable, ayant réduit les rations aux proportions les plus minimes. Leurs provisions s'épuisèrent cependant, et les plus faibles périrent l'un après l'autre. Depuis quelques jours ils étaient réduits à manger leurs vêtements de peau de phoque. Le lieutenant Greely a déclaré qu'ils n'auraient pas résisté quarante-huit heures de plus.
Tous les survivants de l'expédition trouvés au cap Sabine, ont été embarqués sur la Thetis et se trouvent actuellement à Saint-Jean, à l'exception du sergent Ellison, qui avait les pieds et les mains gelés, et qui est mort pendant le voyage, après avoir été amputé. Les livres de l'expédition ont été tous sauvés et sont entre les mains du lieutenant Greely. On a l'intention de' lui faire, ainsi qu'à ses compagnons, une magnifique réception, à leur arrivée ici.

Comment ont-ils survécu ? Des rumeurs

Le New-York Times renouvelle aujourd'hui son affirmation au sujet de l'expédition Greely et il ajoute que le docteur Pavy a été tué par ses compagnons. Ce journal rapporte qu'un de ses reporters a vu hier plusieurs officiers et marins et qu'aucun d'eux n'a contredit la narration des faits de cannibalisme. Le lieutenant Greely, questionné à ce sujet, reconnu qu'un soldat nommé Henry a été fusillé le 6 juin; mais il ajoute que cela a eu lieu à la suite de vols de provisions dont ce soldat s'était rendu coupable à plusieurs reprises. Il avait été avisé trois fois en vain d'avoir à renoncer à ces vols, dont le plus important, et le dernier avait eu pour mobile deux livres de biscuits qui le rendirent malade. Il s'était, en outre, approprié une paire de souliers appartenant à un matelot. Le lieutenant Greely, en sa qualité de commandant de l'expédition, avait alors été contraint, pour le maintien indispensable de l'ordre et de la discipline et pour protéger la vie des autres membres de l'expédition, d'ordonner la mise à mort du coupable. La sentence fut exécutée le 6 juin. Au sujet de l'accusation de cannibalisme, le lieutenant Greely déclare que si des faits semblables se sont produits, ils n'ont, p u être que des actes isolés et n'ont jamais été généraux et que, du reste, aucun fait semblable n'est venu à sa connaissance. Le sergent Brainard, un des survivants de l'expédition, confirme les déclarations du lieutenant Greely.

Le Courrier des Etats-Unis, dans son dernier numéro arrivé en France, raconte une poignante histoire :
C'est celle d'une pauvre femme, Mme Pavy, dont le mari appartenait à l'équipage du Proteus, le navire américain qui a fait naufrage dans les glaces du Pôle-Nord. La malheureuse avait appris la triste fin de l’homme dont elle portait le nom mais elle croyait que, du moins, son corps avait été retrouvé par les marins du vaisseau la Thetis, parti à la recherche du Proteus et qui en ramenait à New-York, les survivants.
Hélas une horrible nouvelle, qui déjà, d'ailleurs, avait été publiée par la presse française, mais que l’on avait tenu cachée à la pauvre veuve, a du lui être révélée : le corps de son mari n’a pas été rapporté parce qu’il a été mangé, oui mangé, par ses compagnons…
C'est alors, quand les vivres, que les naufragés avaient pu sauver après le désastre du Proteus, furent épuisées, que le drame effrayant de la faim commença! Tandis qu'il expirait, l'infortuné Pavy vit ceux de ses compagnons d'expédition qui restaient vivants se traîner autour de lui, guettant l’instant où il rendrait le dernier soupir. Ce n'étaient plus des hommes c'étaient des bêtes fauves aux regards avides. Tous ces braves gens d'hier, marins hardis, esprits aventureux, s'étaient, sous l'action de la faim, transformés en carnassiers! Et ils trouvaient, sans doute, que Pavy était bien long à mourir! Celui-ci ne se faisait pas d'illusion sur le sort réservé à son cadavre. Il avait déjà vu, quelques jours auparavant, les naufragés se partager les membres d'un matelot mort. Soudain, la peur, une peur horrible le saisit. Si l'on allait ne pas attendre qu'il eût expiré pour tailler dans sa chair! Pavy ne put maîtriser son épouvante. Il rassembla ce qui lui restait de forces, et quand il crut qu'on ne le voyait pas, il se mit à courir du coté de la mer. Son intention, c'était de chercher un tombeau dans les profondeurs de l'Océan. Il voulait sauver son corps de la dent de tous ces êtres affamés qui s'apprêtaient à le dévorer, à boire son sang… Mais Pavy avait été aperçu. Les naufragés la poursuivirent et, avant qu'il eût disparu à jamais sous un glaçon, le saisirent et le retirèrent de l'eau…
Que dites- vous de cette chasse ? Et connaissez-vous une scène aussi affreuse que celle-là ? Pavy était-il mort ? Les survivants du Proteus ne l’on pas dit et on ne le saura jamais. Mais, ce qu’on sait, c’est qu’aussitôt, il fut frappé à coups de hache, broyé en deux, trois, quatre, en autant de parts qu'il y avait de bouches, et que ce cadavre palpitant, encore vivant peut-être, fut mangé…
Tel est, dans toute son horreur, le drame qui eut lieu!

New-York, 23 octobre. Le commandant Schley, qui était à la tète de l'expédition pour porter secours à Greely, dit, dans son rapport au ministère de la marine, que les cadavres des six hommes qui accompagnaient le lieutenant Greely ont été trouvés dépouillés de leur chair.

Presse
Daily evening bulletin, Maysville, Ky, (Monday 1 december 1884)

 

LE CAS DE LA MIGNONETTE

Canot

Tombe de Parker

Canot de la Mignonette

Tombe de Richard Parker

Le 19 mai 1884, le petit yatch de 19,43 tonneaux , 52 pieds, met le cap sur Sydney à plus de 15.000 milles nautiques !!! avec un équipage de quatre personnes : Tom Dudley, capitaine, Edwin Stephens, Edmund Brooks, et Richard Parker, mousse. Parker n'a que 17 ans et c'est un marin inexpérimenté. Le 5 Juillet, dans un coup de vent, le bateau coule à environ 1.600 milles au nord-ouest du Cap de Bonne Espérance. L'équipage part alors à la dérive, sans eau, sans vivres, dans le petit canot du bord. Ils sont à environ 700 milles de la terre la plus proche, qu'il s'agisse de Sainte- Hélène ou Tristan de Cunha.

Les 16 et 17 Juillet, un tirage au sort est discuté afin de désigner une victime sacrificielle qui devait mourir pour nourrir les autres. Le débat s'intensifie le 21 Juillet, mais sans résolution. Le 23 ou le 24 Juillet, avec Parker probablement dans le coma, Dudley dit aux autres qu'il est préférable que l'un d'entre eux meurent pour que les autres survivent et qu'ils devraient le désigner par un tirage au sort. Brooks refuse. Cette nuit-là, Dudley de nouveau souleve la question avec Stephens soulignant que Parker allait probablement mourir et que lui et Stephens avaient des femmes et des familles. Ils conviennent de laisser la question jusqu'au matin. Le lendemain, sans aucune perspective de sauvetage en vue, Dudley et Stephens décide que Parker serait tué avant sa mort naturelle afin de préserver son sang à boire. Brooks, qui n'avait pas pris part à la discussion antérieure n'a émis aucune protestation. Dudley a dit une prière et tandis que Stephens tenait les jambes de Parker, il a poussé son canif dans la veine jugulaire, tuant le jeune garçon.
Dudley, Stephens et Brooks sont finalement receuillis par le trois-mâts barque allemand Montezuma, le samedi 6 Septembre.

"Le capitaine du yacht naufragé, M. Dudley, est arrivé à Londres vendredi; c'est un homme solidement bâti, d'une taille moyenne, à barbé blonde, de bonne apparence, mais encore très faible par suite de ses souffrances. Ses pieds sont si sensibles qu'il ne peut porter que des pantoufles; lorsqu'ils ont été sauvés, les naufragés avaient les jambes tellement enflées qu'ils ont été très longtemps avant d'en recouvrer l'usage.
Voici la scène, de la mort de Parker, telle que le capitaine la raconte lui-même :
"Le onzième jour nous avions fini la tortue, il ne nous restait que les deux bottes de navets et nous n'eûmes que le peu d'eau que nous pûmes à grand-peine recueillir pendant quelques orages. Du quinzième au vingtième jour nous fûmes sans nourriture et sans boisson. C'est alors que nous commençâmes à nous regarder les uns les autres avec méfiance. Le mousse qui avait bu de l'eau de mer pendant la nuit s'écria : "Nous allons tous mourir". Sur quoi je fis la proposition de tirer au sort, mais cette proposition fut repoussée. Mieux vaut mourir ensemble, dirent Stephens et Brooks. Soit, mais il est dur de laisser périr quatre personnes, quand un seul peut sauver les trois autres...
Les choses s'empiraient; le vingtième jour, le mousse gisait au fond du bateau, respirant difficilement, à moitié mort. Vers trois heures du matin, je dis au maître : "Qu'allons-nous faire? Je crois que le mousse va mourir. Vous avez une femme et cinq enfants, j'ai une femme et trois enfants, et on a mangé de la chair humaine avant nous".
Stephens me répondit : "Voyons d'abord ce que le jour amènera. Vers six heures du matin nous tînmes conseil. Brooks et Stephens déclarèrent qu'ils ne pouvaient se résoudre au meurtre. J'envoyai Brooks à l'avant, et, m'étant levé, j'examinai l'horizon : je n'aperçus rien. Dans une prière fervente, je priai Dieu de me pardonner, je m'agenouillai auprès du mousse et je lui plongeai le canif dans la gorge. La mort fut instantanée.
Parker ne pouvait vivre; il était déjà agonisant, et si le capitaine Dudley prit la résolution de le tuer, c'est que la soif était le supplice le plus terrible enduré par l'équipage. Le mousse mourant naturellement, le sang n'aurait pas coulé et par conséquent la soif n'aurait pas été apaisée. Quoi épouvantable spectacle que celui de ces trois hommes buvant à tour de rôle le sang qui s'échappait de la blessure du pauvre enfant, dont le corps servit pendant quatre jours de nourriture!
Lorsque la chaloupe fut rencontrée par le Montézuma, la moitié du cadavre avait été dévorée; cependant les trois hommes étaient si faibles qu'ils ne purent monter à bord du navire; on hissa sur le pont, le canot et son contenu dont faisait partie le cadavre à moitié dépecé de Parker.
En agissant ainsi qu'il l'a fait, le capitaine Dudley ne croyait commettre aucun crime, puisqu'il a lui-même donné tous les détails du naufrage; il sera donc difficile, sinon de le condamner, tout au moins de ne pas lui accorder grâce pleine et, entière.
C'est la trésorerie qui soutient l'accusation dirigée en son nom à Falmouth, par un solicitor de Londres. La traversée de la Mignonnette devait durer quatre mois, le yacht était bien approvisionné et passait pour tenir parfaitement la mer; seulement il était construit depuis dix-sept ans, et le bois des bordages était trop vieux pour résister à celte lame énorme qui les a enlevés. Le capitaine Dudley hésitait à prendre le commandement d'un navire aussi petit- il recevait 2.500 francs comme appointement, et une prime de même valeur lui avait été promise, s'il arrivait à bon port. Cette dernière perspective a vaincu ses hésitations. La solde de Stephens et de Brooks était de 125 francs par mois. Ces deux marins comptaient rester en Australie, et ils avaient emporté avec eux tout leur petit avoir. Ils sont aujourd'hui sans ressources, car la solde cesse de leur être due à partir du moment où le yacht a sombré. Des souscriptions sont ouvertes à Falmouth en leur faveur et donneront, sans aucun doute, de fructueux résultats. Le capitaine Dudley est à Sutton, près de Londres. Stephens et Brooks sont à Southampton; ils sont tous trois dans un état de santé très précaire, et il y eût eu une cruauté inutile à les maintenir en prévention, Dans l'histoire des naufrages, celui de la Mignonnette demeurera certainement un des plus terribles, et c'est ce qui explique l'intérêt qui s'attache au sort de ces trois hommes, échappés à la mort après de si terribles angoisses.
L'Univers illustré 28/09/1884)
Les survivants viennent d'être arrêtés à leur arrivée à Falmouth sous l'inculpation de meurtre."

Dudley et Stephens ont été condamnés à la peine de mort avec recommandation de miséricorde. La prérogative royale de clémence fut exercé par la reine Victoria sur l'avis du ministre de l'Intérieur Sir William Harcourt. Le 12 Décembre, Harcourt décide de commuer la peine à six mois d'emprisonnement...

Mignonette

 

LE CAS DU TURTEY

Il vient d'arriver à Lewes, dans l'Etat de Delawarre, le trois-mâts goélette Helen L. Angel, capitaine George Tripp, ayant à bord le pilote Marshal Bertrand et un matelot, recueilli dans un canot du bateau-pilote Turley. Ce canot, monté par les pilotes Marshal Bertrand, Thomas Marshall et deux matelots, avait été détaché du bateau-pilote et envoyé au steamer Pensylvania. Thomas Marshall ayant été porté sur le steamer, les trois hommes restés sur le bateau-pilote, Bertrand et les deux matelots, l'un nommé Alfred Swanson, l'autre resté inconnu, essayèrent de retourner au Turtey qu'ils avaient laissé tirant des bordées prés du phare flottant Flé-Kathom, mais ils ne purent pas le retrouver, et le canot, ayant perdu ses avirons, fut entrainé en dérivé jusqu'à sa rencontre par l'Helen L. Angel. Il n'y avait plus alors que deux hommes sur le canot. Bertrand et Swanson. Ils dirent à leurs sauveteurs que leur compagnon, le matelot resté inconnu, était mort et qu'ils l'avaient jeté à la mer.
Le pilote Bertrand a avoué depuis que Swanson et lui ont mangé partiellement le corps de leur camarade. On peut résumer comme suit le terrible récit qu'il a fait :
La nuit étant survenue pendant que le canot revenait du Pensylvania, il ne fut pas possible de retrouver le Turley, et la mer ayant grossi, la frêle embarcation devint ingouvernable. Au point du jour, ses occupants virent qu'ils étaient emportés rapidement vers la haute mer. Le froid était excessif et il n'y avait ni eau ni vivres dans le canot. Les vêtements cirés des trois hommes s'étaient gelés sur eux. La nuit suivante et la journée du lendemain se passèrent dans les plus cruelles souffrances. Le surlendemain, le délire s'empara des matelots qui étaient tous deux norvégiens et ils jetèrent la mer les avirons et tout ce qu'ils purent saisir. Vers minuit, le matelot resté inconnu dégaina son couteau et essaya d'en frapper le pilote, en criant qu'il voulait l'égorger et boire son sang. Mais le malheureux était tellement faible qu'aucun de ses coups ne porta. Il tomba subitement et expira après quelques convulsions. L'idée vint alors au pilote que le corps de l'homme qui avait voulu le tuer pourrait servir prolonger sa vie. Il fit part de son projet à Swanson, qui l'approuva. Les deux survivants réunirent le peu de forces qui leur restaient pour arracher les vêtements gelés qui recouvraient le cadavre, et, dès que les épaules et la poitrine furent à nu, ils y plongèrent leurs couteaux et sucèrent avidement le sang qui s'échappait des blessures. Ensuite, ils coupèrent des tranches dans sa chair et les mangèrent. C'est après s'être réconforté par cet horrible repas qu'ils aperçurent un navire distant de moins d'un mille et venant droit sur eux. Dès qu'ils eurent la certitude qu'on les avait vus et qu'on venait à leur aide, Ils jetèrent à la mer ce qui restait du cadavre dont ils venaient de se repaître…

Tel est le récit fait par le pilote. Mais on croit qu'il ne dit pas la vérité quant à la mort du matelot mangé, et l'on suppose que ce malheureux a été assassiné par les deux marins qui l'ont mangé.

 

LE CAS DU GLENMORE :

SEIZE NAUFRAGES TUÉS ET MANGÉS.
Les journaux anglais font la relation suivante d'un drame horrible, unique dans les annales des naufrages célèbres.
Le bâtiment anglais Glenmore (1) était parti de Maryport en décembre 1887, faisant voile vers Buenos-Aires avec un chargement de fer. Surpris par une tempête, il fit naufrage, au mois d'avril dernier, dans le détroit compris entre l'île de Staten-Island el la Terre-de-Feu. L'équipage put se sauver dans cette île et pendant de longs mois ne vécut que de racines, jusqu'au jour où il fut rapatrié par un vapeur allemand.
A leur retour à Liverpool, ces marins ont raconté une épouvantable histoire. Environ dix-huit mois avant leur arrivée dans l'ile, les équipages de deux vaisseau: naufragés, composés de trente-deux personnes, étaient venus y aborder. Après quelques semaines de séjour â travers les terres arides, seize d'entre eux parvinrent jusqu'à un phare entretenu par la République d’Argentine et distant de vingt-cinq milles de l'endroit où ils se trouvaient. Ils racontèrent que leurs compagnons étaient morts d'épuisements. Le vapeur qui approvisionne le phare tous les deux mois, les amena ensuite à Buenos-Aires.
Les employés du phare, un jour qu'ils (exploraient la région où avaient séjourné les trente-deux naufragés, trouvèrent trois ou quatre barils semblables à ceux qu'on emploie ordinairement pour conserver la viande de boeuf. Mais, après examen, ils reconnurent bien vite que des restes humains y étaient renfermés. Les seize naufragés, survivants avaient tué leurs infortunés compagnons et s'étaient nourris de leurs restes, qu'ils avaient salés et mis en conserve.
Les journaux anglais réclament l'intervention des gouvernements européens pour qu'un dépôt de provisions soit établi à Slaten-Island ; le plus proche est. Falk-Island, à plus de 300 milles, et le nombre des naufrages est considérable sur ce point.

 

LE CAS DU DROT :

Book

Carte

Canot de la Mignonette

Tombe de Richard Parker

Le vapeur anglais Woodruff, qui vient d'arriver à Charleston (Caroline du Sud), y a amené les matelots Andersen et Thomas, deux survivants de l'équipage du trois mâts barque norvégien Drot, qui a sombré au large de la côte de Floride, pendant l'ouragan du 11 août 1899, en allant de l'ascagoula à Bueynos Ayres.

Neuf hommes de l'équipage du Drot ont péri lorsque le navire a coulé. Huit autres se sont réfugiés sur un radeau qui, le lendemain du nau frage, s'est coupé en deux. L'un des fragments portait deux hommes, qui ont été recueillis plus tard par un vapeur allemand et débarqués à Baltimore. L'autre fragment du radeau portait donc six hommes parmi lesquels Maurice Anderson et Goodman Thomasen.

L'un d'eux a perdu la raison et s'est jeté à la mer, deux autres sont morts d'épuisement et un quatrième, désigné par le sort, a été tué par Anderson et Goodman Thomasen, qui ont bu son sang et mangé sa chair. Quand le radeau a été aperçu par la vigie du Woodruff, les deux matelots étaient assis sur une pièce de bois, à côté des cadavres de leurs compagnons. Leurs yeux hagards indiquaient qu'ils avaient perdu la raison.

Goodman Thomasen, armé de son couteau, découpait sur les cadavres des lambeaux de chair et les jetait aux requins qui fourmillaient autour du radeau. Le récit épouvantable a été fait par les survivants qui ont raconté qu'après la mort des deux autres matelots. Ils avaient bu leur sang encore tiède et mangé des morceaux de leur chair.

LE CAS DE L'ANGOLA 1900

ANGOLA, trois mâts barque de 1672 tonneaux brut, lancé en 1890 par W. H. Mosher à Newport, New-Scotland. Il mesure 219,2 pieds de long pour un maître baud de 41 pieds. Il est immatriculé à Windsor pour son constructeur.

Monté par 37 hommes d'équipage, sous le commandement du capitaine Crocker, il naufrage le 21 octobre 1900.

Sans nourriture, ni eau, ni abri, les victimes de la tempête et du typhon, assaillies par une faim et une soif si insupportables qu'elles "ont été poussées à manger la chair de leurs compagnons assassinés. Hjalmar Jonsson et Miquel Marticoreno, marins de la barque Angola, de Nouvelle-Écosse, qui ont fait naufrage, ont dérivé pendant trente-huit jours sur un radeau en haute mer.
Leur terrible histoire de cannibalisme dont ils ont été témoins, et qu'ils ont même partagée, de la perte des huit compagnons qui étaient partis avec eux sur le radeau, des tempêtes et des catastrophes qui les ont frappés, et de leur souffrance insensée, les deux hommes l'ont racontée dans une déclaration sous serment faite devant un notaire de Singapour, en Inde, le premier port anglophone où ils sont arrivés.
La demande présentée à la Mutual Reserve Fund Life Association of New York par la veuve de Darius Campbell, premier lieutenant de l'Angola, pour le paiement de son assurance a mis en lumière toute l'horrible "histoire".
L'Angola a quitté la Nouvelle-Écosse pour Cavite, dans les îles Philippines, sous les ordres du capitaine Crocker, Darius Campbell étant son second. En octobre dernier, il a quitté Cavite pour Singapour. Cinq jours plus tard, il a heurté un récif. Cinq marins ont pris possession d'un petit radeau dont on n'a plus jamais entendu parler. Le capitaine, le second et huit autres marins ont pris un plus grand radeau...
Après dix jours de dérive, un des marins, un Français, enragé par ses épreuves, assassine le second. Le second lieutenant a arraché la hache du Français et l'a tué avec. Certains des autres hommes sont morts, d'autres, selon les survivants, ont sauté par-dessus bord.
Jonsson et Marticoreno, qui reconnaissent avoir mangé un peu de la chair du Français, ont d'abord débarqué sur une île au nord de Bornéo, où ils ont ensuite été ramassés par une jonque chinoise et emmenés à Singapour.
Les détails du voyage fatal sont donnés dans la déclaration sous serment des deux hommes, dont une copie vient d'arriver à New York. Elle a été rédigée par Hugh Fort, notaire de Singapour, et se présente en partie comme suit :
"Le ou vers le 12 octobre 1900, Hjalmar Jonsson et Miquel Marticoreno et les officiers et membres de l'équipage de l'Angola ont mis les voiles à partir de Cavite, dans l'île de Luzon, pour un voyage à destination de Singapour, sur lest.
"Le 17, un typhon a soufflé du sud-ouest, et les huniers supérieurs, les grands voiles et la poupe ont été rentrés, et le navire s'est mis en gîte. Vers 16 heures, le navire étant sur bâbord amure, des ordres ont été donnés pour virer le navire afin de dégager d'un récif, et le navire a viré à tribord amure, et a posé le bossoir sur tribord amure, mais n'a pas pu dégager le récif, qui était sous son vent. Vers 23 heures, le navire a heurté le récif.
"La localisation dudit récif est inconnue de ces témoins, mais le capitaine, Crocker, avait exprimé qu'il était à environ 600 miles au sud-ouest de Manille, et à 150 miles de la côte chinoise, mais aucune observation n'avait été faite depuis Cavite, en raison de l'absence de soleil et de pluie constante.
"Le navire, après avoir heurté le récif, a continué à s'y cogner. Le 18 à deux heures du matin, le mât le plus avancé s'est brisé juste au-dessus du pont et est passé par-dessus bord, avec la misaine et le hunier inférieur. Le navire a continué à s'enfoncer dans le récif et s'y est accroché.
"Le matin du 18, une tentative de mise à l'eau d'un bateau. Le premier bateau mis à l'eau a été brisé avant d'avoir pu être mis à l'eau, et le deuxième bateau a été brisé sur le récif alors que l'homme, Hjalmar Jonsson, et cinq autres marins étaient à bord, Jonsson et deux autres marins ont retrouvé leur équilibre et deux autres marins se sont noyés.
"Le 21, cinq membres de l'équipage sont partis au matin sur le radeau qui avait été fabriqué. Dans l'après-midi, ces personnes, ainsi que le capitaine, le second et les huit autres membres de l'équipage, quittèrent le navire sur un morceau brisé du côté du bateau, qui servait de radeau, le vent étant du nord-est et le temps beau.
"Le navire était toujours sur le récif et se brisait rapidement. Il ne semblait pas pouvoir tenir pendant de nombreux jours et fut abandonné, et ces personnes craignent que ledit navire ait été entièrement détruit et perdu. "Le radeau qui transportait cinq membres de l'équipage n'a jamais été vu après le 21. "Ces deux témoins ont continué sur l'autre radeau, qui a dérivé avec le vent et la marée pendant 38 jours, pendant lesquels toutes les personnes à bord du radeau, à l'exception de ces deux hommes,
"Le 28, le radeau a dérivé sur une île habitée par des gens parlant malais, et s'appelant eux-mêmes "Soebi". La localité exacte n'est pas connue de ces personnes, mais on pense qu'elle se trouve au nord de Bornéo. "Le 21 janvier ou vers cette date, une jonque chinoise a débarqué sur l'île et y est restée jusqu'au 25 mars environ, date à laquelle elle est partie avec ces personnes en réserve et est arrivée à Singapour le 3 avril.

angola


MANGER DES BOTTES ET DES BERNACLES.
Johu, N.B., qui, dans une lettre adressée à la Mutual Reserve Fund Life Association, cite une partie d'une interview de Hjalmar Jonsson parue dans le Singapore Free Press :
"Au vingt-cinquième jour, les choses étaient absolument désespérées. "Nous avions mangé nos bottes, des bernacles sur le côté du radeau, des algues qui passaient à la dérive, et la saveur salée de tout ce qui était mauvais nous rendait presque fous.

"Deux d'entre nous, en effet, sont devenus fous et ont sauté à la mer. "Soudain, l'un d'entre nous, un marin français, a saisi une hache et a fendu le crâne du second, le tuant sur le coup. "Il a alors essayé de manger son corps, mais nous l'avons jeté par-dessus bord. Il a saisi la hache une seconde fois, et s'est précipité sur le capitaine pour le frapper.  "Avant que le Français ne puisse le faire, le second l'a abattu avec la hache." (Ici, le narrateur, Jonsson, est devenu très réticent sur ce qui s'est passé, et a dit qu'il ne se souvenait pas de grand-chose, mais il a admis qu'ils avaient mangé une partie du corps du Français.

 

Notes

1. Expédition Greely : L’expédition de la baie Lady Franklin ou expédition Greely, officiellement nommée Lady Franklin Bay Expedition, est une expédition polaire américaine menée par Adolphus Greely entre 1881 et 1884 dans la baie Lady Franklin. Son l'impulsion de Henry W. Howgate, l'expédition utilisa le navire Proteus afin d'implanter une station météorologique pour la première année polaire internationale. Le gouvernement américain l'avait également commissionné pour recueillir des données astronomiques et sur le magnétisme. À ce titre, l'astronome Edward Israel faisait partie de l'équipe. C'est lors de cette expédition, en 1882, que Greely nomma la chaîne Conger. Sans nouvelles de l'équipe, deux navires de recherches et de ravitaillements firent route vers le camp sur l'île d'Ellesmere, mais ne parvinrent pas à y accéder. La recherche ne fut pas abandonnée, notamment grâce à Henrietta, la femme de Greely. Un autre navire, le Bear parvint en 1884 au camp, ne trouvant plus que six des vingt-cinq membres de l'équipe, dix-neuf étant morts de faim, de froid, noyés et même un exécuté par balle. Greely et les autres survivants étaient eux-mêmes près de la mort et l'un des survivants est décédé sur le voyage de retour. À leur retour, ils ont été vénérés comme des héros, mais leur héroïsme a été entaché par des accusations de cannibalisme au cours des derniers jours faute de nourriture.

2. Naufragés des Andes : Le 12 octobre 1972, un avion de l’armée de l’air uruguayenne décolle de Montevideo pour Santiago du Chili. L’avion est affrété par les "Christians Brother’s", une équipe de rugby de Carrasco. Il s’agit pour ces adolescents de jouer un match amical et – accompagnés par quelques parents et amis – de passer un week-end sympathique sur les rives du Pacifique. Il y a quarante-cinq personnes à son bord… Le 13 octobre à 15h30, le pilote transmet à la tour de contrôle de Santiago sa position et son altitude. Mais quand, une minute plus tard, la tour tente de communiquer avec l’appareil, elle n’obtient aucune réponse…
Le Chili, l’Argentine et l’Uruguay mettent tous leurs moyens en commun pour retrouver l’avion. Mais il y a sur les Andes des chutes de neige exceptionnelles et la carlingue est peinte en blanc... Bien peu de chances donc, qu’on ne retrouve jamais l’avion et encore moins de chances que l’un des quarante-cinq passagers ait pu survivre à l’accident...On apprendra plus tard que quelques jours après le crash, une avalanche survenue en pleine nuit fera encore d’autres victimes... Le dixième jour après la catastrophe, les recherches sont abandonnées.
Les rescapés apprennent la nouvelle grâce à une radio qui fonctionne encore. Il ne leur reste plus rien à manger… Leur seul moyen de survivre : se nourrir de chair humaine ; celle de leurs amis morts.
Dix semaines plus tard, un berger chilien qui surveille son troupeau dans une vallée située sur les contreforts des Andes, aperçoit la silhouette de deux hommes de l’autre côté d’un torrent. Ils gesticulent dans tous les sens, puis tombent à genoux, les bras grands ouverts. Le berger, les prenant pour des touristes – voire pour des terroristes – s’en va. Le lendemain, il revient pourtant au même endroit et voit les silhouettes toujours là. Au bord de la rivière, le bruit de l’eau est tellement fort qu’il est impossible pour les trois hommes de s’entendre. Le berger jette alors par dessus le torrent un morceau de papier et un stylo enveloppés dans un mouchoir. Les deux hommes, barbus, en haillons, lui écrivent : "Nous venons d’un avion tombé dans la montagne. Il y a encore 14 compagnons en vie là haut… Où sommes-nous ? "

Video

Soixante-douze jours après l’accident, Fernando Parrado (20 ans) et Roberto Canessa (19 ans) viennent de parcourir 70 kilomètres dans la montagne, traversant les trois quarts de la cordillère des Andes à pieds et franchissant des sommets de plus de 4.000 mètres sans autre équipement que des chaussures de rugby… Soixante-douze jours cauchemardesques, où chacun a perdu une mère, une sœur, un ami... Au total, seize rescapés. Dans les rédactions du monde entier, on parle des « survivants du siècle », et – peut-être parce que leur sauvetage a eu lieu deux jours avant Noël – du "miracle des Andes".
Quatre jours après leur sauvetage, dans une conférence de presse surchauffée, les survivants prennent les devants : "… le jour est arrivé où nous n’avions plus rien à manger, et nous nous sommes dit que si le Christ, pendant la Cène, avait offert son corps et son sang à ses apôtres, il nous montrait le chemin en nous indiquant que nous devions faire de même : prendre son corps et son sang, incarné dans nos amis morts dans l’accident... Et voilà, ça a été une communion intime pour chacun de nous… C’est ce qui nous a aidé à survivre… ".
Un de nos plus grands tabous venait d’être transgressé. Et assumé publiquement. Le monde entier était bouleversé.

3. Glenmore : Glenmore, trois-mâts barque, lancé le 7 septembre 1876 par le chantier McMillan à Dumbarton, pour W Porter & Sons.749 BRT, 57,9 x 9,6 x 5,7. Il naufrage au Cape St Vincent, Terra de Feu, le 8 avril 1888.

 

Sources

Daily evening bulletin, Maysville, Ky, (Monday 1 december 1884) ; The New York Times, November 28, 1884 ; The National Archives, Kew (COPY 1/370/21 : Photograph of Yacht 'Mignonettes, Thomas Henry Smelt, 17 September 1884) (KB 33/46 : Thomas Dudley and Edwin Stephens: conditional pardons, 1884 Dec 15) (HO 144/141/A36934 : list of criminal cases, including extradition cases : Dudley, Thomas. Court: Exeter Assizes Offence : Murder on High Seas Sentence : Death - Commuted to 6 months) ; Alfred William Brian Simpson, Cannibalism and the Common Law: The Story of the Tragic Last Voyage of the Mignonette and the Strange Legal Proceedings to Which It Gave Rise, University of Chicago Press, 1984 ; Le Matin (1884/09/10, N° 2875) ; Le Matin (1884/08/14, N° 171) ; Le Matin (1884/09/28, N° 2893) ; "The Custom of the Sea" Neil Hanson, Ed Doubleday, 2000, ISBN 0-471-38389-9 ; National Maritime Museum Cornwall (Britain’s last trial for cannibalism at sea The story of the Mignonette) 2008 ; "Thirty Florida Shipwrecks", Kevin M. McCarthy,William L. Trotter ; L'Ouest-Éclair (Rennes, 1899/09/19, N° 49) ; The New York Times (September 3, 1899) ; "The Wreck of the Whaleship Narrative of the shipwreck and sufferings of Miss Ann Saunders : who was a passenger on board the ship Francis Mary, which foundered at sea on the 5th Feb. 1826 on her passage from New Brunswick to Liverpool, Ann Saunders, Éditeur Providence, Crossmon, 1827.Essex", Owen ; L'Ouest Eclair 10 avril 1901 - New Zealand Herald, Volume XXXIX, Issue 11860, 11 January 1902 ; The Times, March 29, 1826 ;